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serpent. On rapporte de là une assez rare impression de brutalité ; c’est comme un joli raccourci de la cruauté universelle…

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                                       Paris, 11 juillet.

Paris s’amuse, ma cousine. Tous les soirs, du Gymnase jusqu’au Trocadéro, par les rues et les places où le gaz et l’électricité mêlent leurs lumières d’or et d’argent et où s’entre-croisent sans fin les milliers de lanternes des voitures, c’est un fourmillement, un grouillement énorme de gens qui vont à leur plaisir. C’est vraiment aujourd’hui que Paris a l’air d’une ville qui se damne. Il devait y avoir quelque chose de cette douce folie et de cette aimable fièvre dans la bonne ville de Ninive quand le prophète Jonas y entra… Je vous avouerai même que lorsqu’on jouit comme moi de ces délices depuis tantôt trois mois, on a par moment de fortes envies de s’en aller quelque part où l’on s’amuse moins.

Toutefois, j’ai été très content de voir, cette nuit, le bal des exposants au palais de l’Industrie. Je ne parle point de la réelle splendeur du décor : la fête était surtout amusante par ses extraordinaires proportions et par la variété inouïe des têtes assemblées. C’est, à coup sûr, la réunion d’hommes et de femmes la plus bariolée que j’aie jamais vue. Je m’étais assis avec un ami dans un coin ; nous regardions passer,