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mettre leur concours ont l’air d’être traînés à l’abattoir. Tous arrivent en retard, le programme est bouleversé, les entr’actes durent une heure, et ça finit à deux heures du matin. Et, comme ce sont les artistes qui choisissent leurs morceaux… on est exposé à entendre des choses un peu pénibles.

Je ne dis point cela, ma cousine, pour le « bénéfice » de Mlle Tessandier, auquel j’ai eu la bonne fortune d’assister hier soir, à l’Odéon. L’excellente comédienne jouait un acte de Severo Torelli. J’ai eu plaisir à revoir ses yeux, pareils à deux taches d’encre, dans sa longue tête d’Espagnole de Bordeaux, et sa tignasse de reine sauvage. Quelqu’un a dit la Bénédiction de Coppée, à moins que ce ne fût la Grève des Forgerons. Un baryton n’a pas hésité à nous chanter :

  Léonor, mon amour brave
  L’univers et Dieu…

(Il prononçait : « L’univers-z-et-Dieu ».) Enfin, M. Mounet Sully nous a dit Oceano nox, tour à tour avec des hurlements d’acteur annamite et des plaintes douces de tout petit enfant qui fait sa dentition.

L’excellent tragédien est rasé depuis Alain Chartier. Il est encore beau, si vous voulez, mais d’une beauté moins humiliante pour nous. J’imagine qu’en sortant hier de l’Odéon telle jeune fille qui jusque-là