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exceptionnel de la situation et de quelques-uns des sentiments), M. de Maupassant le développe par les procédés du roman réaliste. Cette étrange histoire, nous en touchons du doigt la vérité, jour par jour, heure par heure. M. de Maupassant, plusieurs fois de suite, a accompli avec sérénité ce tour de force de marquer, dans chacun des innombrables incidents de la journée la plus unie, les progrès lents de la passion et de la douleur dévoratrices au coeur d’Olivier et d’Anne.

Il y a là, continuellement, un choix de circonstances extérieures, toutes des plus naturelles et toutes singulièrement expressives, par lesquelles on se sent si bien enveloppé que l’on a, aussi intense que possible, l’impression de la vie réelle, — et cela, je le répète, sur une donnée exceptionnelle jusqu’à l’invraisemblance. La sûreté d’observation du conteur est telle que, cette invraisemblance, il la fait comme rentrer de force dans le courant vulgaire des choses… Eh ! oui, on mange, on boit, on bâille, on travaille, on fait ce que font les autres, on est comme tout le monde, on n’a rien d’extraordinaire : et on meurt de désespoir et d’amour ; on meurt d’une passion fatale comme les passions de tragédie. C’est ainsi, cela arrive, pas souvent, mais cela arrive, en vérité, et peut-être tout près de nous.

C’est à cause de ces patientes préparations des trois cents premières pages que les cinquante dernières sont si étrangement émouvantes. Nous avons vu,