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Loire et le « ru », sous le soleil, dans l’odeur des foins. Cette promenade annuelle, il me serait extrêmement dur d’y renoncer. Je l’ai faite hier, tantôt par les sentiers que noient les hautes herbes pleines de taches jaunes et violettes, tantôt le long du ruisseau bordé de saules dont l’argent léger miroite et frissonne. Et je suis arrivé à un tout petit village qui trempe ses pieds dans l’eau ; et j’ai pris de la bière, tout seul, dans un cabaret qui s’intitule avec emphase Café de la gare, bien qu’il soit à deux lieues de la plus proche station du chemin de fer.

J’étais heureux, je ne pensais à rien. Tout ce qui m’agite tant à Paris, je l’avais oublié. Les vipères que j’ai comme tout le monde dans le cœur, vanité littéraire, ambition, jalousie, soucis, désirs et passions de toute sorte, s’étaient parfaitement assoupies. Je sentais que la vie aux champs, la vie tout près de la terre, c’est là le vrai, et que notre civilisation urbaine et industrielle n’est peut-être qu’une effroyable erreur de l’humanité occidentale.

J’avais besoin de cette heure d’apaisement : car, la veille, en débarquant dans mon chef-lieu de canton, j’avais eu une grande colère. Les beaux arbres qui s’élevaient à la porte de la petite ville venaient d’être coupés par les soins d’une édilité dont j’aime mieux ne pas qualifier la conduite. On ne doit jamais abattre ses arbres, sinon dans les cas d’absolue nécessité et quand il est bien prouvé qu’ils ont atteint depuis longtemps le maximum de leur développement pos-