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niques sur les choses littéraires. Mais ce ne fut jamais un régulier. Personne n’a plus mal gouverné sa vie, ou plutôt ne l’a moins gouvernée. Et personne, je crois, n’a été plus naturellement ni plus profondément mélancolique et inquiet. Il était né vaincu d’avance ; et j’ai toujours été persuadé qu’il mourrait jeune.

Il y a quatre ou cinq ans, il avait publié, sous la couverture de « l’homme qui bêche », un mince recueil de vers intitulé les Brumes. Je retrouve ce volume ignoré. Il est imprimé sur du papier à chandelle et ne paye pas de mine, mais il contient une douzaine de pièces exquises et tristes que je voudrais toutes vous citer. Je vais du moins en copier une pour vous, qui est d’une notation subtile et vraie.

    Voir souffrir était mon supplice,
    Autrefois, quand j’avais un cœur,
    Mais tout cédait à mon caprice
    Impérieux comme un vainqueur.

    Injuste et bon comme les femmes,
    Au temps d’errer dans les sillons,
    Tout en blessant souvent les âmes,
    J’avais pitié des papillons.

    Je me sentais moi-même auguste.
    Comme ils souffraient, mes bien-aimés !
    On m’admirait : je trouvais juste
    Qu’on m’obéît les yeux fermés.