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(quelques-unes jolies) ; j’ai rencontré et salué une douzaine de figures de connaissance ; j’ai pris un verre d’orangeade et je suis allé me coucher.

C’est ainsi, ma cousine, que j’ai témoigné jeudi, entre onze heures et minuit, de mon dévouement à nos institutions.

Il faut admirer M. Carnot. Songez à la vie qu’il mène. Il visite, préside, inaugure, encourage de sa présence tout ce qui peut être encouragé, inauguré, présidé ou visité. Il n’est pas de jour où il ne soit exposé aux regards des autres hommes, obligé de garder interminablement une attitude à la fois digne et bienveillante, souriante et grave. L’autre soir, pendant plus de deux heures, il a souri et donné des poignées de main, sans bouger de place. Il fait cela très bien. (Est-ce que cela l’amuse ? Pense-t-il à quelque chose durant ces cérémonies ? Roule-t-il des projets pour notre bonheur ? Compose-t-il des sonnets ?…)

Il faut l’admirer, vous dis-je, bien que la royauté constitutionnelle, même l’empire démocratique et enfin la République aient fort réduit cette partie des devoirs d’un chef d’État qui consiste à se laisser voir. Combien, par exemple, la tâche est plus douce pour M. Carnot que pour son prédécesseur indirect le roi Louis XIV ! Dire que, pendant soixante ans, celui-là s’est levé, s’est couché, a pris tous ses repas selon certains rites et devant témoins ! Dire qu’il n’a jamais eu la joie de déjeuner tout seul dans un res-