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à Stendhal : « Ta parole ? » Oui, c’est vrai, j’ai l’ouïe grossière et peu exercée. Il me faut, pour que je sois content ou seulement pour que je comprenne, des mélodies très claires, des harmonies peu compliquées et un rythme loyalement marqué. (J’ai un faible pour la musique militaire et je ne déteste pas l’orgue de Barbarie.) Mais, dès que les rapports entre les sons successifs ou entre les sons simultanés cessent d’être très simples, très unis, très faciles à saisir, je n’y suis plus, je n’entends plus que du bruit.

Cela encore ne serait rien. Les plaisirs que l’on conçoit à peine, on souffre peu d’en être privé. Mais il y a une chose horrible que je vais vous confesser. Ce que je supporte le mieux en musique, ou même ce que j’aime, ce sont, j’en ai peur, les poncifs les plus misérables et les plus plates banalités. Il n’y a pas à dire, j’aime la romance, la romance roucouleuse et geignarde, chère aux peintres en bâtiments. Je me mis à pleurer comme on pleure à vingt ans…, Oiseaux légers, messagers des zéphyrs…, Pauvres feuilles, valsez…, voilà ce qui me ravit et me met du vague à l’âme. Je suis sûr qu’il y a des gens que je considère comme des imbéciles, précisément parce qu’ils ont en littérature les goûts que j’ai en musique. Et cette pensée est bien mortifiante.

Ce qui me console, c’est que, très évidemment, beaucoup de prétendus amateurs sont dans mon cas, qui ne l’avouent point.