Page:Lemaître - Les Contemporains, sér5, 1898.djvu/192

Cette page n’a pas encore été corrigée

Or cette fête, qui reste aimable et gracieuse dans son énormité, c’est pourtant bien la fête de cette démocratie industrielle pour laquelle vous n’avez jamais manifesté beaucoup de tendresse. Ne pourriez-vous vous demander à ce propos si vos inquiétudes avaient raison et s’il n’y aurait pas une beauté et une noblesse de vie compatibles avec l’état social qui vous a, plus d’une fois, inspiré tant de méfiance ?

Puis vous considérerez ceci, qu’on s’amuse encore chez nous plus que partout ailleurs, et que c’est bien quelque chose. Les étrangers continuent de venir à Paris, depuis que Paris est la capitale d’une vaste république démocratique. Je ne dis point que cela nous empêche d’être malades. À coup sûr, un peu plus d’union, de modération, de bon sens, un plus vif sentiment de la nécessité du respect et de la discipline nous vaudrait mieux que notre talent d’amuseurs. Mais enfin ce talent est-il si méprisable ? Notre gaieté et notre belle humeur ne supposent-elles pas des qualités excellentes : le don de sympathie, l’activité et la souplesse de l’esprit, et peut-être même une singulière énergie secrète ?

Et cette gaieté n’a-t-elle pas ses bons côtés ? N’est-ce pas elle qui, depuis tantôt vingt ans, nous a presque entièrement épargné les violences de la rue, les brutalités des mouvements populaires ? Ne trouvez-vous pas qu’une certaine ironie très salutaire, un certain détachement philosophique a gagné