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geant vaguement à la page commencée et en ruminant des épithètes, c’est là ce qu’il appelait « travailler comme un nègre ».

Il a donc pu lui arriver, d’une part, d’exagérer ses angoisses, son acharnement douloureux sur les mots et les syllabes ; car il y avait du Tartarin chez lui, comme chez beaucoup de Normands. Et, d’un autre côté, je suis persuadé qu’il prenait souvent le rêve, la vague poursuite d’une idée parmi la fumée du tabac, pour un travail réel. Ainsi s’explique que, n’ayant pas autre chose à faire et vivant dans une solitude presque complète, il ait pu passer cinq ou six ans sur chacun de ses livres. Il est très vrai qu’ils n’en valent que mieux. Et c’est bien pour avoir été faits lentement, mais non, comme il le croyait, sur un chevalet de torture et parmi des sueurs d’agonie.

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                                       Paris, 5 mai.

On est très bien à Paris en ce moment, ma chère cousine. Il n’y a jamais eu, je crois, tant de frissons délicieux dans l’air, ni, partout répandue, une telle joie de vivre. C’est que nous jouissons à la fois de l’éclosion de deux printemps.

Le premier, c’est le printemps de Dieu, le printemps annuel (ou à peu près). Il ne nous a pas ou-