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de Marie-Antoinette, et il m’est, je crois, arrivé de dire que j’aimerais mieux être privé des joies de l’égalité civile et politique et qu’on n’eût pas coupé la tête d’André Chénier. (Il est vrai qu’il serait mort tout de même, à l’heure qu’il est.)

Or, en sortant du musée de Calmettes, je ne sais plus bien où j’en suis. La chemisette et la culotte du pauvre petit Louis XVII m’ont ému ; les têtes de Marat et de Robespierre, moulées après leur mort, et celle de Danton, crayonnée par David, ressemblent vraiment un peu trop aux têtes d’assassins qui sont exposées rue de l’École-de-Médecine… Mais Camille Desmoulins a un visage charmant ; Saint-Just ressemble à Maurice Barrès, que j’aime beaucoup ; et je me suis attendri sur les bibelots de Lucile Desmoulins et sur le beau gilet qu’elle brodait pour Camille et qu’il n’eut pas le temps de porter. Tous ces tueurs ont pour eux d’avoir été tués à leur tour… Je pense à la dernière nuit de Robespierre, couché sur une table, la mâchoire fracassée, et au cri terrible qu’il poussa quand on lui retira sa mentonnière avant de le guillotiner. Je ne suis pas, sans doute, comme le doux Michelet qui avait infiniment plus de pitié des bourreaux que des victimes. Je n’ai plus d’idées très nettes ; mais je songe que tous ces gens-là étaient des hommes et que c’est là, comme dit un ancien, « une dure condition », et ma pitié tombe dans le tas.

En tous cas, il est sûr qu’en dépit des vices privés