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Et maintenant, ma cousine, si vous voulez me faire plaisir, relisez le Manchy et la Ravine Saint-Gilles.

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                                       Paris, 25 avril.

« Nous mourons tous inconnus. » Je crois, ma chère cousine, que ce mot est de Balzac. C’est un des plus vrais qu’on ait écrits. Ainsi, vous, je vous ai vue naître ; je vous ai fait jouer toute petite ; nous sommes de vieux et intimes amis, et vous m’avez souvent fait l’honneur de me prendre pour confident. Eh bien, je ne suis pas du tout sûr de vous connaître ; il y a continuellement des choses de vous que je n’avais pas prévues et qui me déconcertent. Et peut-être est-ce ce qui reste en vous d’inconnu qui m’attache si incurablement à vous…

M. Barbey d’Aurevilly vient de rendre à Dieu son âme généreuse et sonore de catholique, de chouan, de dandy, de romantique et de mousquetaire. Or il meurt, après avoir écrit de quoi faire quarante volumes, illustre et inconnu. Il meurt inconnu, après un demi-siècle de conversations empanachées.

Car, d’abord, on ne saura jamais à quel âge il est mort, et s’il est né en 1807 ou en 1811.

On ne saura jamais ce qu’il a fait pendant vingt ans de sa vie, de 1830 à 1850. Il ne l’a dit à personne.