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Des gens qui le connaissent bien m’affirment que ce poète hautain, ce prêtre du néant, est d’ailleurs très candide, très doux, un peu timide et ombrageux, sensible enfin — lui, ce fakir ! — à quelques-unes des vanités innocentes par lesquelles l’éternelle Maya nous déçoit. Il ne lui a pas été indifférent, voilà deux ans, d’entrer à l’Académie. Au fait, pourquoi n’en aurait-il pas été content ? Les mandarinats sont justement faits pour les artistes qui, comme lui, ne peuvent être connus de la foule…

Mais tout d’abord il dissimula ses sentiments ; Cunacépa et la Vision de Brahma l’obligeaient à l’impassibilité. La première fois qu’il fut convoqué à l’Institut, il dit : « Je n’irai point. Qu’irais-je faire, je vous prie, parmi ces vaudevillistes et ces professeurs ? » Mais le jeudi suivant, il y alla. Il revint enchanté, ayant fait des découvertes : « Mais ils sont très polis ! Mais ils sont charmants ! Mon Dieu, il est évident que ce Nisard est intellectuellement le dernier des hommes. Mais il est gentil, très gentil, je vous assure. » Et, à partir de ce jour-là, M. de Lisle fut le plus régulier des académiciens. Voilà du moins ce que l’on m’a conté, et peut-être le conteur y mettait-il un peu d’innocente malice.

M. de Lisle eut raison. Être un bon académicien, cela n’empêche point le monde d’être mauvais et la mort bienfaisante, mais cela aide à passer le temps. Et, puisque tout est vanité, nos contradictions sont sans conséquence.