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nités et des calembours. Et peut-être est-ce une autre façon de ne pas comprendre.

C’est un homme assez singulier que Leconte de Lisle, — M. de Lisle, comme l’appellent ses disciples. — Je vous ai fait lire les Poèmes barbares, ma chère cousine ; et, quoique cette poésie soit peu faite pour plaire aux femmes, vous en avez aimé la splendeur pure et froide, la philosophie si simple, si triste, si pleinement désenchantée. Et sans doute vous vous êtes figuré là-dessus M. de Lisle comme un bouddhiste fourvoyé chez nous, imperturbable de sérénité, et pour toujours revenu des mensonges de Maya.

Mais on n’en revient jamais tout à fait, vous le savez, ô ma cousine ! vous qui êtes un des plus gracieux parmi ces mensonges. M. de Lisle (heureusement pour lui) est encore dupe, comme nous, de l’universelle Illusion. Avec son masque olympien aux traits précis et un peu durs, il n’est qu’un homme, et par suite, quelquefois, un enfant (de la façon dont le sont les grands poètes, bien entendu). Et cela est très amusant à constater.

Ce bouddhiste est, sur un point au moins, l’homme le plus convaincu et le plus intraitable. Il a, en poésie, les théories les plus hautes et les plus étroites. À ses yeux, votre Musset, Madame, ce rimeur sans dignité qui pleure et se confesse devant tout le monde, est bon pour les bonnetiers. M. de Lisle est, si je puis dire, passionnément impassible.