Page:Lemaître - Les Contemporains, sér5, 1898.djvu/171

Cette page n’a pas encore été corrigée

QUELQUES « BILLETS DU MATIN. »


                               Paris, 24 avril 1889.

MA CHÈRE COUSINE,

J’ai voulu voir lundi, à l’Odéon, une des dernières représentations des Erinnyes. C’est très curieux. On goûte, en deux heures, des sensations extrêmes ; car on peut dire qu’il y a un abîme entre la musique de Massenet et les vers de Leconte de Lisle. C’est une tuerie préhistorique, accompagnée de flûtes voluptueuses, subtiles et tendres. Le drame est beaucoup plus farouche que l’Orestie. Au siècle dernier, les bons traducteurs, Letourneur ou Brumoy, accommodaient Shakespeare et Eschyle à la française et demandaient grâce pour ce qu’ils leur laissaient de grossièreté et de sauvagerie. Aujourd’hui, on retranche à Eschyle son humanité et sa charité, et, si l’on pouvait, on ajouterait à Shakespeare des obscé-