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« Enfin, j’avais une fille et un gendre. Mon gendre, qui avait des talents pour les affaires, cherchait toutes les occasions de les appliquer. Il avait plutôt les qualités d’un habile marchand que les vertus d’un héritier de la couronne. Ma fille, que j’aimais tendrement, avait le tort de donner dans une dévotion outrée ; et cela n’était point pour plaire à un peuple jeune et généreux, qui commence à s’affranchir de la superstition et chez qui les lumières de la philosophie se répandent de jour en jour.

« J’appartiens, du reste, à une famille qui, depuis quelque temps, montre de merveilleux talents pour perdre les trônes et une singulière inaptitude à les reconquérir.

« Ainsi l’affection de mon peuple, sinon son estime et son respect, s’était lentement détournée de moi et des miens. La révolution était inévitable. Il n’y fallait qu’un prétexte. Une mutinerie de l’armée contre un ministre impopulaire a décidé de tout. Je dois dire que les insurgés ont été parfaits. Ils sentaient que tout cela n’était point ma faute, que je comprenais moi-même leurs raisons et que je ne leur gardais pas rancune. Jamais révolution n’a été plus pacifique, ni plus courtoise de part et d’autre. Ces messieurs m’ont embarqué, avec beaucoup de politesse, dans un navire très confortable. Tout s’est passé avec une extrême cordialité. Ils ont absolument tenu à me laisser ma liste civile, qui est de deux millions.