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Cela rend leur compagnie peu divertissante ou même étrangement incommode. Ils sont déconcertants. On est sûr que, quoi qu’on leur dise, ils vous prendront en pitié. On est aussi embarrassé pour leur parler qu’on le serait avec un derviche ou un thug étrangleur.

Même entre eux, ils restent mornes, hargneux, fermés. Les réunions d’hommes de lettres furent charmantes autrefois. Les banquets de ces jeunes gens, même leurs conversations autour des bocks, sont lugubres. Ces infortunés ne parlent que de littérature. M. Rosny a noté quelques-uns de leurs propos avec une exactitude cruelle. Ils se rassemblent pour déchirer les absents pendant la première heure et pour se déchirer entre eux le reste du temps, — en phrases brèves, bizarres, violentes et obscures. Chacun songe à soi et se défie des autres, «… Silence. L’atmosphère est fausse, craintive. » Au fond, ils se réunissent pour s’ennuyer ensemble. «… Bah ! répondit Jouveroy, je ne me plais qu’avec les gens qui s’embêtent. »

La Bruyère dit en parlant de certains financiers : « De telles gens ne sont ni parents, ni amis, ni citoyens, ni chrétiens, ni peut-être des hommes : ils ont de l’argent. »

Je dirais volontiers des pareils de Servaise : « Ils ne sont ni chrétiens, ni citoyens, ni amis, ni parents, ni peut-être des hommes : ce sont des littérateurs, — chacun d’une religion littéraire distincte