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des magistrats, des soldats ou des comédiens, — et beaucoup plus redoutable et plus déplaisant.

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À vingt ans, parfois plus tôt, le mal les prend et ne les lâche plus. Ils commencent par croire, — d’une foi étroite et furieuse de fanatiques, — premièrement, que la littérature est la plus noble des occupations humaines et la seule convenable à leur génie ; que les autres métiers, la culture de la terre, l’industrie, les sciences et l’histoire, la politique et le gouvernement des hommes sont de bas emplois et qui ne sauraient tenter que des esprits médiocres ; et, secondement, que c’est eux, au fond, qui ont inventé la littérature.

Et alors ils fondent des cénacles à trois, à deux, même à un. Ils renchérissent douloureusement sur des formes littéraires déjà outrées : ils sont plus naturalistes que Zola, plus impressionnistes que les Goncourt, plus mystico-macabres que Baudelaire ou Barbey d’Aurevilly ; ils inventent le symbolisme, l’instrumentisme, le décadentisme et la kabbale ; les plus modestes et les plus lucides croient avoir découvert la psychologie, et ils en ont plein la bouche. Ils se tortillent pour dire des choses inouïes. Et, sous prétexte d’exprimer des nuances de sensation et de sentiment qui, si on les presse, s’évanouissent comme des rêves de fiévreux ou se ramènent à des impressions toutes simples et notées