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ne les avais pas lues, la douceur du ciel et la délicieuse paresse du climat ayant glissé en moi une certaine incuriosité des choses imprimées. Quelqu’un m’avait dit que Boule de suif était drôle : cela m’avait suffi. Néanmoins, j’interrogeai poliment Maupassant sur ses travaux. Il me dit qu’il était en train d’écrire une longue nouvelle, dont la première partie se passait dans un mauvais lieu et la seconde dans une église. Il me dit cela avec beaucoup de simplicité ; mais moi, je songeais : « Voilà un garçon évidemment très satisfait d’avoir imaginé cette antithèse. Comme c’est malin ! Je la vois d’ici, sa machine : moitié Fille Élisa et moitié Faute de l’abbé Mouret. Toi, j’attendrai pour te lire qu’il fasse moins chaud. » Misérable que j’étais ! Cette nouvelle c’était la Maison Tellier.

Et pendant deux ans encore, j’ignorai la prose de Maupassant. En septembre 1884, je n’avais pas lu une ligne de lui. J’entendais dire qu’il avait du talent, mais je n’éprouvais pas le besoin d’y aller voir.

Un jour enfin, tout à fait par hasard, Mademoiselle Fifi me tomba sous la main. Je l’ouvris du bout des doigts. À la troisième page, je me dis : « Mais c’est très bien, cela ! » À la dixième : « Mais c’est très fort ! » et ainsi de suite. J’étais conquis à Maupassant ; je lus ce qui avait paru de lui à cette époque, et je l’admirai d’autant plus que je lui devais une réparation et qu’un peu de remords se mêlait à cette sympathie soudaine — et forcée.