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Que se passe-t-il donc dans l’âme du jeune Empereur ?

Qu’il m’apparaît différent de la plupart des autres rois ! Ceux-là ne sont, en somme, que des bourgeois qui ont une belle position et qui s’y tiennent. Ils ne croient plus à leur droit divin. Ils sentent que leur pouvoir ne repose que sur une fiction. Et, à cause de cela, ils restreignent autant qu’ils peuvent leurs devoirs ; ils ne s’en reconnaissent d’autres que ceux de très hauts fonctionnaires.

Le jeune Empereur pense bien autrement. Il vit sous l’œil de Dieu, il se sent choisi et sacré par Dieu. Il se sent responsable (dans quelle mesure ? il l’ignore et cela l’effraie d’autant plus), il se sent réellement responsable du sort matériel et moral des millions d’hommes que Dieu lui a confiés ; il sent qu’il est leur maître pour leur bien, pour le bien de tous, et particulièrement des plus humbles. Il sent qu’il a envers eux des devoirs, non seulement de protection contre l’étranger, mais aussi, et bien plus encore, de justice et de charité. Sa royauté lui semble un sacerdoce. Bref, il est dans un état d’esprit auquel, depuis des siècles, les souverains sont restés à peu près étrangers, et qui n’a guère été connu, dans sa plénitude, que de certains princes religieux du moyen âge.

Or, — et nous entrons ici dans le rêve, — que pourrait-on attendre aujourd’hui d’un monarque absolu qui, un siècle après la Révolution, aurait, au fond, la même notion du pouvoir royal et le même