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visible, mais charnelle à peine. Rien n’était d’une élégance plus chaste que la danse de Mlle Beaugrand — ou même de cette Cornalba pour qui Meilhac éprouva un sentiment d’une spiritualité si pure qu’un jour il commanda son portrait sans lui avoir jamais adressé la parole.

Nos ballerines ne dansent qu’avec leurs jambes, ces jambes fuselées, intelligentes, capables de mille mouvements divers. Les bestiales almées dansent avec leur bassin, qui ne connaît qu’un mouvement, toujours le même.

Notez qu’à cause de cela, le costume de nos danseuses d’Opéra est exactement le contraire de celui des almées. Le tutu et la jupe forment un nuage blanc, comme celui dont s’enveloppait la pudique Junon, où disparaissent le ventre et la croupe, toute la partie massive et brutale de ce « corps féminin qui tant est tendre, poly, souëf, si prétieux ». Mais les peuples obscènes couvrent soigneusement la gorge et les jambes de leurs danseuses, et découvrent le reste.

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La danse des gitanes, ardente, cynique et farouche, est cependant déjà supérieure, moralement, à ces danses ombilicales et solitaires de l’impur Orient. L’homme y est mêlé et y joue son rôle. Cette danse exprime donc un état de civilisation où la femme est moins avilie, où elle est autre chose que la servante des plaisirs de l’autre sexe. Il s’y déroule de petites comédies d’amour, où la femme résiste, où il faut la