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délicieuses d’ailleurs, où il avouait lui-même que son imagination s’était donné carrière.

Ils l’ont aussi jugé sur des causeries improvisées à des banquets, sub rosâ, et où ce sage pliait par instants sa sagesse à une extrême indulgence pour les faiblesses ou la frivolité des personnes qui l’entendaient. On doit du reste remarquer qu’à mesure qu’il avançait en âge, M. Renan craignait davantage d’avoir l’air de surfaire, dans ses discours, les vertus à la pratique desquelles il avait consacré toute sa vie. Quarante années d’héroïque labeur, de pureté et d’intégrité absolues, lui donnaient peut-être le droit d’éviter un certain ton dogmatique en parlant des vérités morales. Mais cette pudeur, cette délicatesse d’une âme fière se tournaient contre lui, et on les prenait encore pour dilettantisme et scepticisme.

Le plus triste, c’est que cette opinion des béotiens n’est pas sans avoir déteint sur la génération nouvelle. Les jeunes gens qui ont aujourd’hui de vingt à vingt-huit ans se sont mis à reprocher à M. Renan de ne pas assez croire et d’être trop gai. Le plus distingué d’entre eux écrivait dernièrement : « Oh ! que ce grand professeur d’hébreu nous pèse ! » Ils sont là une petite bande qui, sous la conduite de M. de Vogüé, vont répétant à journée faite : « Croyons ! croyons ! » sans nous dire à quoi, comme on chante à l’Opéra : « Marchons ! marchons ! » Le « scepticisme » de M. Renan paraît