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même, si vous voulez, que son illustre ami M. Taine. Or, il s’est trouvé que, tout à coup et contre son attente, cet hébraïsant, cet homme voué aux plus austères études, a connu, outre la gloire, la popularité, je dis la popularité la plus retentissante, quelque chose en vérité comme celle de M. Coquelin ou de Mme Sarah Bernhardt. Et cela est unique.

Mais cette anomalie a eu des conséquences. La parole du maître ayant prodigieusement dépassé le cercle de son auditoire naturel, il a été très imparfaitement entendu ; et on l’a admiré ou haï tout de travers, et l’on a affreusement simplifié sa philosophie. Les béotiens l’ont trahi, quelquefois en l’aimant ; et, par béotiens, je n’entends pas seulement la foule, mais les gens du monde, les petits chroniqueurs et les faiseurs de revues de fin d’année. J’en parle d’autant plus librement que je ne suis point sûr de n’avoir pas été moi-même, un jour, un peu béotien à cet égard.

Le public a donc pétri, selon son caprice, cette idole inattendue. Comme l’auteur des Origines du christianisme étudiait une matière obscure et était souvent amené à douter des faits, on a lestement transformé son scepticisme historique en scepticisme moral. Puis, au lieu de le considérer dans les plus sérieux de ses travaux (qu’ils n’avaient point lus), et notamment dans toute la partie de son oeuvre antérieure aux Dialogues philosophiques, les badauds l’ont jugé presque uniquement sur certaines fantaisies,