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je vois s’agiter des figures étranges et plus qu’humaines ; mais je vous jure que je ne les sens pas vivre. Je trouve des passions singulières et d’une énergie féroce ; mais de tous ces drames vous n’extrairez pas, j’en ai peur, une goutte de vraie pitié ni de simple tendresse. Toute cette œuvre où s’épand une imagination si riche, où roule une si vertigineuse rhétorique, je me dis que, si elle est retentissante, c’est peut-être à la façon d’une armure vide, et que si elle est empanachée, c’est peut-être comme un catafalque qui recouvre le néant. Cet écrivain catapultueux n’est-il donc que le dernier et le plus forcené des romantiques ? Qu’y a-t-il au juste dans son fait ? Histrionisme magnanime ou snobisme majestueux ? J’hésite et je m’étonne… Et, tandis que je demeure stupide, je me rappelle cette réplique de Mesnilgrand dans le Dîner d’athées :

     « Mon cher, les hommes… comme moi n’ont été faits de toute
     éternité que pour étonner les hommes… comme toi ! »

Je me le tiens pour dit, et je tâche de transformer mon étonnement en admiration. Après tout, l’outrance et l’artifice portés à ce point deviennent des choses rares et qu’il faut ne considérer qu’avec respect. Mettons, pour sortir de peine, que le chef-d’œuvre de M. d’Aurevilly, c’est M. d’Aurevilly lui-même. Quelle que soit dans son personnage la part de la nature et de la volonté, la constance, la sûreté,