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Le capitaine Ledoux est « un bon marin », qui, blessé à Trafalgar, a été congédié « avec d’excellents certificats. » Il s’est fait négrier. Un jour il emporte, outre sa marchandise noire, Tamango le marchand, qui a eu l’imprudence de venir réclamer à bord sa femme Ayché. Révolte des noirs soulevés par Tamango, et massacre de tout l’équipage. Après quoi les bons nègres, qui ne savent pas conduire le vaisseau, s’entre-mangent, et les derniers meurent de faim. (Tamango.) Il est impossible ni d’entasser plus d’horreurs, ni de les raconter avec plus de froideur et de précision que ne l’a fait Mérimée dans cette étonnante histoire de bestialité, de tortures et de sang. Et, si je ne devais m’en tenir aux récits rassemblés dans ce volume, combien d’autres où il paraît se complaire dans la peinture ou plutôt dans la notation tranquille de la stupidité, de la férocité et de la misère humaines ! Il y a plus de « pessimisme » (puisque le mot est encore à la mode) dans telle nouvelle de Mérimée que dans tous les Rougon-Macquart.

Mais ce sentiment, il ne l’étale jamais, parce que c’est trop facile, et à la portée même des sots. Il ne s’attendrit ni ne s’indigne. Contre la vision du monde mauvais il a l’ironie, et c’est assez. Ironie presque inexprimée, mais continue, et condensée comme un élixir. Celle de Tamango est plus âcre et plus recuite que celle même des plus noirs chapitres de Candide. Je n’y sais de comparable que l’ironie de Gulliver.