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M. Crépet a bien raison de dire dans sa Préface : « J’ai la conviction que ces documents ne peuvent que servir la mémoire de Baudelaire, en la dégageant, sous certains aspects, des ombres qui la couvraient. » On constatera, en feuilletant le volume, que Baudelaire fut un bon fils. J’entends par là que jamais il ne contrista sa mère autrement que par ses vices, dont je ne sais à quel point il faut le rendre responsable, et qu’il fut constamment, avec elle, affectueux, attentif et tendre. On verra aussi que ce grand débauché garda pendant vingt ans une mulâtresse, Jeanne Duval, qui le trompa de toutes les façons ; que, lorsqu’elle fut, jeune encore, frappée de paralysie, il la fit entrer à ses frais à l’hospice Dubois ; que, lorsqu’elle en voulut sortir avant sa guérison, il revint habiter avec elle, et qu’il ne cessa de lui venir en aide, même après qu’il eut fixé sa résidence en Belgique, malgré l’extrême gêne à laquelle il était lui-même réduit.

Cette Jeanne Duval, c’est la maîtresse noire, le « vase de tristesse », la « grande taciturne », la « sorcière », la « nymphe ténébreuse et chaude » des Fleurs du mal. Or, il paraît bien qu’elle n’avait, à part sa race, rien de remarquable. Voici son signalement : « Pas très noire, pas très belle, cheveux noirs peu crépus, poitrine assez plate, de taille assez grande, marchant mal ». Une réflexion ne vous vient-elle pas ? Toutes les femmes que les poètes ont aimées et dont ils ont chanté l’incomparable beauté ; depuis la