Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/37

Cette page n’a pas encore été corrigée

témoigna toujours beaucoup d’affection à Baudelaire, soit qu’il eût en effet du goût pour sa personne, soit qu’il le sentît très malheureux. En tous cas, l’auteur de Volupté, qui n’était pas précisément un naïf, n’a pas douté un instant de la sincérité du poète des Fleurs du mal. Baudelaire s’épanche avec Sainte-Beuve plus librement qu’avec tout autre ; il est simple, affectueux, confiant. Sainte-Beuve avait coutume de l’appeler : « Mon cher enfant » ; et Baudelaire (qui blanchit de bonne heure) lui répond de Bruxelles (mars 1865) : « Quand vous m’appelez : Mon cher enfant, vous m’attendrissez et vous me faites rire en même temps. Malgré mes grands cheveux blancs qui me donnent l’air d’un académicien (à l’étranger), j’ai grand besoin de quelqu’un qui m’aime assez pour m’appeler son enfant… » Il lui demande, un jour, un article sur les Histoires extraordinaires de Poë ; Sainte-Beuve promet l’article, ne l’écrit point, et Baudelaire ne lui en veut pas.

L’affection de Baudelaire pour le grand critique datait de loin ; les Poésies de Joseph Delorme étaient déjà, au collège, un de ses livres de prédilection ; et à vingt ans, il envoyait des vers (dont quelques uns assez beaux) à son poète favori… Et, en effet, les poésies de Sainte-Beuve, — si curieuses, mais qui ne sont aujourd’hui connues et aimées que d’un petit nombre de lettrés, — ressemblent déjà par endroits, sinon à des « fleurs du mal », du moins à des fleurs assez malades.