Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/308

Cette page n’a pas encore été corrigée

cet admirable chapitre XX du livre Ier, qui contient toute sagesse : « Que pouvez-vous voir ailleurs que vous ne voyiez où vous êtes ? Voilà le ciel, la terre, les éléments. Or c’est d’eux que tout est fait. Où que vous alliez, que verrez-vous qui soit stable sous le soleil ? Vous croyez peut-être vous rassasier ; mais vous n’y parviendrez jamais. Quand vous verriez toutes choses à la fois, que serait-ce qu’une vision vaine ? »

Quel baume et quel calmant que ces saintes paroles ! Comme elles font sentir l’inutilité des chemins de fer et des steamers ! Il ne m’est arrivé qu’une fois de me déplacer notablement pour aller voir un paysage original : celui de Boghari en Algérie, si vous voulez le savoir. J’en avais lu la description dans Eugène Fromentin. J’ai voulu vérifier. Douze heures de diligence en partant de Blidah ! Je sais bien qu’on voit quelquefois des singes en traversant le défilé de la Chiffa ; mais l’auteur de l’Imitation me ferait remarquer qu’ils sont parfaitement semblables à ceux du Jardin des Plantes. On arrive à la nuit. On couche dans une auberge fort incommode, au pied de la colline fauve et nue, aux luisants de faïence, où se tasse la petite ville arabe. J’éprouvai si douloureusement cette nuit-là l’angoisse absurde, mystérieuse, d’être si loin de « chez moi », sous un ciel qui ne me connaissait pas, parmi des gens qui ne parlaient pas ma langue et qui n’avaient pas le cerveau fait comme le mien, que je sortis par la fenêtre pour attendre la