Page:Lemaître - Les Contemporains, sér4, 1897.djvu/288

Cette page n’a pas encore été corrigée

mettait à M. Zola de rendre sensible aux yeux le drame qu’il voulait conter. La cause du commun supplice de Claude et de Christine pouvait ainsi revêtir une forme concrète. La cruelle maîtresse du mari et l’ennemie mortelle de l’épouse, c’est une femme, c’est cette femme nue que Claude s’obstine à dresser au milieu de sa toile, en plein paysage parisien. Double duel à mort entre le peintre et cette image qui résiste, qui ne veut pas se laisser peindre comme il la voit, et qui pourtant l’attire et le retient invinciblement, et, d’autre part, entre cette femme peinte et la femme de chair. C’est vraiment une tragédie à trois personnages, celui qui s’étale sur la toile vivant d’une vie aussi réelle que les deux autres. À un moment, Claude enfonce un couteau dans la gorge de l’image peinte, comme on ferait à une femme méchante. C’est avec sa seule nudité que Christine lutte contre l’ennemie nue. Elle combat cette femelle en femelle. Vous vous rappelez la dernière scène de ce drame charnel. Claude, cette nuit-là, a passé une heure à regarder l’eau du haut du pont des Saints-Pères ; il est enfin rentré ; mais, à peine couché, il s’est échappé du lit. Christine le trouve dans l’atelier, au haut de son échelle, une bougie au poing s’acharnant comme un aliéné sur son grand tableau. Et, sous sa main fiévreuse, le ventre de la femme devient un astre, éclatant de jaune et de rouge purs, splendide et hors de la vie… Elle semble faite de métaux, de gemmes et de marbres… comme l’idole