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année de soins assidus et savants, — trop savants, — il l’obtient trois ans après, à l’improviste, quand il n’y songe presque plus. Et, tandis qu’il consacre deux cents pages au récit détaillé de ses manœuvres et de ses stratégies inutiles, il enregistre négligemment, en une ligne, une conquête qu’il n’attendait plus : « Dix heures sonnent. J’ai passé la nuit hier avec Mélanie. » (J’adoucis l’expression.) Dons Juans, instruisez-vous !

En somme, c’est l’histoire d’un premier échec, puisque, s’il arrive à son but, c’est après y avoir renoncé et par d’autres moyens que ceux sur lesquels il comptait.

Secondement (je ne suis point ici l’ordre des dates), Beyle s’est juré à lui-même d’être un grand poète, et un grand poète comique. Cela nous surprend un peu, car, si Stendhal fut un inventeur, il n’était nullement poète au sens ordinaire et naturel du mot, et il n’avait à aucun degré le génie comique. Mais, encore une fois, il n’était pas éloigné de croire que l’on fait toujours ce que l’on veut avec énergie. Il procède en poésie, comme il a fait en amour, avec suite et méthode, tout un luxe de réflexions, de préparations et de préméditations. Savourez, je vous prie, la belle candeur de ces confidences (Beyle avait alors vingt ans) : « Quel est mon but ? d’acquérir la réputation du plus grand poète français, non point par intrigue, comme Voltaire, mais en la méritant véritablement ; pour cela, savoir le grec, l’italien, l’anglais. Ne point