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aubaines individuelles, et que l’infortuné poète s’était imposé le devoir de décrire le bonheur en général. Faustus et Stella sont des êtres abstraits, qui représentent tous les hommes et qui ne sauraient éprouver des jouissances particulières. Dès lors, le poète ne pouvait faire que ce qu’il a fait ; il n’avait d’autre ressource que de nous peindre les plaisirs des sens, et, parmi ces plaisirs, ceux qui sont le plus universellement connus et recherchés. Mais, justement, nul poète peut-être n’était plus impropre à cette tâche que l’auteur des Épreuves et de la Justice. Il avait contre lui la tournure philosophique de son esprit et l’austérité naturelle de sa pensée.

Et ainsi vous voyez le résultat. Il fallait tout au moins, pour nous donner vraiment l’impression du bonheur, réunir comme en un faisceau tous les plaisirs des sens : M. Sully-Prudhomme, trop fidèle à ses habitudes d’analyse, procède méthodiquement, divise ce qu’il faudrait ramasser, étudie successivement les sensations du goût, de l’odorat, de la vue, de l’ouïe et du toucher. — Puis, cette description du bonheur de tous les sens à la fois, il fallait qu’elle fût ardente, caressante, enveloppante, voluptueuse ; qu’il y eût de la flamme, et aussi de la langueur, de la mollesse et quelquefois de l’indéterminé dans les mots. — Or, M. Sully-Prudhomme est le moins sensuel et le plus précis des poètes : il pense et définit au lieu de sentir et de chanter. Tandis que dans