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d’un poète ; c’est qu’il a, à un degré surprenant, le don de la vie, et alors voici ce qui se passe. Ces ressorts généraux d’un caractère et d’un esprit, après les avoir atteints et définis, il les rapproche, il les anime, il les met en branle. Nous voyons les « facultés maîtresses » agir à la manière de roues reliées par des courroies ou mues par des engrenages. Les âmes qu’il a décomposées et réduites à leurs éléments essentiels prennent des airs de machines à vapeur, de léviathans de métal d’une force effroyable et aveugle. Ils vivent, mais d’une vie qui ne paraît plus humaine. C’est donc la méthode et le style de M. Taine qui font paraître son Napoléon monstrueux, — monstrueux comme son Milton ou son Shakespeare, monstrueux comme ses jacobins. Au fond, il n’est point si faux.

— « Mais ce monstre, dit-on, a fasciné sa génération. Il a été le grand amour de millions et de millions d’hommes. Il suffisait de l’approcher pour subir l’ascendant de sa volonté et pour lui appartenir. Pendant la retraite de Russie, quand les soldats gisaient dans la neige, à demi-morts, si quelqu’un disait : « Voilà l’ennemi ! » personne ne bougeait ; mais si l’on criait : « Voilà l’empereur ! » tous se levaient comme un seul homme. C’est ce que M. Taine n’explique point. Ce qui manque dans son étude, c’est la silhouette du « petit caporal ». Oui, c’est vrai, M. Taine a publié le Napoléon de la légende. Sans doute il a répondu sur ce point en faisant le