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Napoléon à Sainte-Hélène parlait de « ce pays qu’il avait tant aimé ». Pourquoi ne pas le croire un peu ? Il l’aimait, dit M. Taine, comme le cavalier aime sa monture. Mais cet amour du cavalier pour son cheval peut être profond. L’empereur aimait dans la France sa propre gloire, dont elle était l’indispensable instrument. Quand il passait sur le front de sa grande armée, et qu’il songeait que ces milliers d’hommes étaient prêts à mourir pour son rêve, savons-nous ce qui remuait en lui ? Tout n’était pas jeu dans la cordialité brusque avec laquelle il traitait ses vétérans. On aime toujours ceux pour qui on est un dieu. La conception de M. Taine suppose chez Napoléon une possibilité de se passer de sympathie, à laquelle j’ai peine à croire. Il le parque dans un tel isolement moral que l’air y doit être irrespirable pour une poitrine humaine. Lui seul d’un côté, — et l’univers de l’autre ! Une telle situation serait effroyable. Je doute qu’un homme né de la femme la puisse soutenir. Je suis sûr que l’égoïsme de Napoléon avait des défaillances. Néron même a eu des amis.

Puis, malgré tout, l’empereur était un peu de son temps. Il aimait la tragédie. En littérature, il avait le goût, si j’ose dire, un peu « pompier ». — Il n’était pas proprement cruel ; j’entends qu’il n’a fait tuer presque personne en dehors des champs de bataille. Il a certainement aimé Joséphine. Il s’est bien conduit avec Marie-Louise, peut-être parce qu’elle était