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parole. Le jour où, acculé contre une petite porte de l’Hôtel-de-Ville, monté sur une chaise de paille, visé par des canons de fusils, la pointe des sabres lui piquant les mains et le forçant à relever le menton, gesticulant d’un bras tandis que de l’autre il serrait sur sa poitrine un homme du peuple, un loqueteux qui fondait en larmes, — le jour où, tenant seul tête à la populace aveugle et irrésistible comme un élément, il l’arrêta — avec des mots — et fit tomber le drapeau rouge des mains de l’émeute, — la fable d’Orphée devint une réalité, et Lamartine fut aussi grand qu’il ait jamais été donné à un homme de l’être en ses jours périssables.

Mais, comme si le destin avait voulu lui faire expier cette heure extraordinaire, — tout de suite après, l’abandon, l’oubli, la ruine amenée par l’ancien faste et par les charités royales, le travail forcé, une vieillesse attelée, pour vivre, à des tâches de librairie et finissant par tendre la main au peuple…

Cette vie si grande le paraît encore plus, s’étant achevée dans tant de douleur.

Et, puisqu’on veut que le rôle politique de l’auteur des Châtiments entre en ligne de compte dans le bilan de sa gloire, j’espère que l’avenir, s’il compare les vers de Hugo et ceux de Lamartine, comparera aussi leurs vies et leurs âmes.