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plus que personne, le don de l’expression plastique. Or, rien ne donne du relief à l’expression comme les contrastes et les oppositions. Il a donc abusé de l’antithèse et a fini par ne plus avoir, dans l’ordre physique et dans l’ordre moral, que des visions antithétiques. Mais justement les plus originales conceptions du monde se réduisent à des antithèses que l’on résout comme on peut. À preuve, les systèmes de Kant, de Hegel, même de Spinoza… L’univers n’est qu’antinomies. Et ainsi c’est de la maladie de l’antithèse qu’est venu à Victor Hugo ce qu’il peut y avoir de philosophie dans son œuvre ; et si, d’aventure, il mérite çà et là ce nom de « penseur » auquel son ingénuité tenait tant, c’est à sa manie d’opposer entre eux les mots qu’il le doit.

Ce qu’il y a de sûr, c’est que Hugo ne pouvait être l’incomparable ouvrier de style qu’il a été, sans être par là même un fort grand poète. Et si son nom est encore livré aux vaines disputes des hommes, s’il est malaisé de déterminer l’étendue et les limites de son génie, c’est peut-être que son cas ressemble assez à celui de Ronsard ; c’est que son oeuvre n’est pas toute dans ses livres ; c’est qu’il a eu (non pas seul, mais plus qu’aucun autre) la gloire de rajeunir l’imagination d’un siècle et de renouveler une langue, et que, par conséquent, nous ne pouvons pas savoir au juste ce que nous lui devons…