Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/99

Cette page n’a pas encore été corrigée

PIERRE LOTI[1]

Je viens de relire presque sans un arrêt, à la campagne, serré contre la terre maternelle, sous un ciel amollissant et chargé d’orage, les six volumes de Pierre Loti. Au moment où je tourne la dernière page, je me sens parfaitement ivre. Je suis plein du ressouvenir délicieux et triste d’une prodigieuse quantité de sensations très profondes, et j’ai le cœur gros d’un attendrissement universel et vague. Pour parler, si je puis, avec plus de précision, ces deux mille pages m’ont suggéré, m’ont fait imaginer un trop grand nombre de perceptions inattendues ; et ces perceptions étaient accompagnées de trop de plaisir et en même temps de trop de peine, de trop de pitié, de trop de désirs indéfinis et irréalisables… Mon âme est comme un instrument qui aurait trop vibré et à qui le prolongement muet des vibrations passées serait douloureux. Je voudrais jouir et souffrir de la terre entière, de la

  1. Aziyadé ; le Mariage de Loti ; le Roman d’un spahi ; Fleurs d’ennui ; Mon frère Yves ; Pêcheur d’Islande. (Calmann Lévy.)