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impuissante : ils l’enrichissent audacieusement de vocables nouveaux et de tournures imprévues, troublent toutes ses habitudes, la tendent et la violentent à la faire crier. Cela leur est commun, sauf le degré qui chez eux est extravagant, avec les « décadents » de toutes les littératures. Ce qu’ils ont par surcroît, c’est, en un sens, le mépris de la phrase, le dédain de certaines petites règles d’euphonie, de cadence, de construction. (Je rappelle que j’ai surtout en vue Manette Salomon et Madame Gervaisais.) Ces stylistes outrés ne sont nullement des rhéteurs. Il y a dans leur cas plus de naturel et de franchise qu’on ne croit. Je dirais presque que l’incorrection travaillée de ces artistes si savants fait songer à l’incorrection ingénue de cet ignorant de Saint-Simon. Ils n’ont vraiment souci que de peindre : la phrase va comme elle peut. Ils ignorent les scrupules de grammairiens.

Je pense qu’il faut voir une simple négligence, non une recherche harmonique qui dérogerait à leurs habitudes, dans cette première phrase de Soeur Philomène : « La salle est haute et vaste. Elle est longue et se prolonge dans une ombre où elle s’enfonce sans finir. » Ils écrivent tranquillement : « En peinture, il ne voyait qu’une peinture[1] » — Beaucoup de leurs périodes, si on les juge d’après les règles les moins contestables de la rhétorique classique, sont assez mal faites, n’ont ni harmonie ni dessin. J’en prends

  1. Manette Salomon, p. 51.