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de son histoire ; mais, puisqu’il est encore permis de décrire le crépuscule à la campagne, il vaut peut-être la peine, pour changer, de le décrire dans un atelier.

On dira encore : Vos descriptions sont des inventaires. Le premier venu en ferait autant : il n’y a qu’à regarder et à prendre des notes. — Croyez-vous ? Essayez un peu pour voir. Nous pouvons fort bien accorder d’ailleurs que les descriptions sont des inventaires dressés par des artistes et des poètes, comme les inventaires sont des descriptions composées par des notaires. Les inventaires de MM. de Goncourt, ai-je dit, ont une âme. Ils accumulent les détails, mais toujours ils en résument la couleur générale et le sens. « De cette pauvre rivière opprimée, disent-ils en parlant de la Bièvre, de ce ruisseau infect, de cette nature maigre et malsaine, Crescent avait su dégager l’expression, le sentiment, presque la souffrance[1]. » Ce que Crescent fait pour la Bièvre, ils le font pour tout ce qu’ils décrivent. Conclusion et résumé d’un coin de la banlieue, l’été : «… Paysages sales et rayonnants, misérables et gais, populaires et vivants, où la nature passe ça et là entre la bâtisse, le travail et l’industrie, comme un brin d’herbe entre les doigts d’un homme[2]. » Conclusion et résumé d’une description du bois de Vincennes : «… Une promenade banale et violée, un de ces endroits d’ombre avare où le peuple va se ballader à la porte des capitales, pa-

  1. Manette Salomon, p. 288.
  2. Renée Maurepin, p. 12.