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au raffiné, au singulier, à l’extravagant, qui renchérit sans cesse sur ses trouvailles et qui s’excite à ce jeu. Les exemples seraient innombrables : voyez seulement dans Manette Salomon la définition de la blague[1] et la description de la danse d’Anatole[2]. Il y a là (et ces débauches sont fréquentes chez MM. de Goncourt et constituent presque leur ordinaire) l’ivresse d’une rhétorique particulière, un soûlerie de mots, une orgie de virtuosité. Ils sont intempérants et agités entre tous les stylistes.


Ils prêtent à leurs personnages lettrés, comme il est naturel, ce style et cet esprit. Je n’ai guère rencontré, pour ma part, des bohèmes et des petits journalistes aussi spirituels que ceux de la rédaction du Scandale. Mais, cet heureux mensonge signalé, il faut reconnaître que les conversations qui abondent dans ces romans ont au plus haut point l’allure et le ton de la conversation contemporaine, parisienne, boulevardière, de la conversation de café ou d’atelier, avec son laisser-aller, son débraillé, ses façons sans-gêne et touche-à-tout, ses hardiesses, son hyperbolisme, son tour sceptique et paradoxal, avec ses prétentions aussi et ses affectations, son ironie tournée au tic, sa manie de feux d’artifice. Manette Salomon, Charles Demailly et Renée Mauperin (avec Denoisel) sont, à ce point de vue surtout, trois livres ultra-parisiens, qui pourront, dans cent ans, donner à nos descendants une

  1. Manette Salomon, page 28.
  2. Ibid., page 230.