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des effets qui paraissent sans causes, tout au moins des choses insuffisamment préparées et qui étonnent. Nous sommes ici très loin de la manière de Gustave Flaubert, très loin de Mme Bovary, qui est, elle aussi, une nerveuse, mais dont le développement pervers est si logique, dont les actes et les sentiments sont constamment déterminés par ce qui les précède ou par les circonstances extérieures. MM. de Goncourt ont laissé chez leurs malades une bien plus grande part d’inconnu et d’inexpliqué.

Si Charles Demailly était un pur sensitif et s’il aimait Marthe jusqu’au bout, sa folie finale n’aurait rien de surprenant. Mais Charles est en même temps un analyste très pénétrant, très lucide, très armé de sens critique ; de bonne heure il perce Marthe à jour, la voit telle qu’elle est, et de bonne heure il cesse de l’aimer. Dès lors sa folie, sans être inadmissible, n’apparaît pas comme un aboutissement inévitable et unique. Et puisque MM. de Goncourt voulaient nous peindre une folie d’artiste, d’homme de lettres, ils auraient pu observer que le plus souvent ce qui les conduit à Charenton, ce n’est pas une aventure de cœur ou quelque trahison, même atroce, mais plutôt la vanité exaspérée, une soif de gloire ou de jouissances impossibles, et que la folie prend plus volontiers chez eux (on en a vu des exemples dans ces dernières années) la forme de la monomanie des grandeurs. Peut-être, ce genre d’aliénation mentale, s’il leur avait plu de le choisir, eût-il été plus carac-