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soir ; le corps d’un modèle ; une pluie de printemps au Palais-Royal ; une synagogue ; un bal masqué chez un peintre ; les amours d’un bohème et d’un singe ; un petit cochon dans un atelier ; l’auberge de Barbizon ; la forêt de Fontainebleau ; la Bièvre et ses paysages ; la plage de Trouville ; je ne sais quelle rue derrière Saint-Gervais ; une pleine eau, la nuit, dans la Seine, sous les ponts… — le tout mêlé de tirades amusantes et truculentes sur l’École de Rome, sur Ingres et Delacroix, sur les primitifs, sur le bourgeoisisme des artistes… — voilà ce que je trouve (et j’en passe), rien que dans la première moitié de Manette Salomon. Il y a un grand attrait dans ce bariolage et dans cet imprévu. Et n’est-ce pas là (si singulier que le rapprochement puisse paraître) le procédé de La Bruyère ? Style et « nervosité » à part, l’auteur des Caractères s’y prend-il autrement pour nous faire connaître la cour ou la ville, que MM. de Goncourt pour nous mettre sous les yeux le monde des artistes et celui des hommes de lettres ?

Je sais bien qu’il y a dans presque toutes leurs œuvres, des écarts, des fantaisies qui s’éloignent de l’objet du livre ; que, par exemple, le canotage nocturne de Manette pouvait se placer dans n’importe quel autre roman, et que l’aventure d’un goret taquiné par un singe dans un atelier n’était pas absolument indispensable à la peinture du monde des artistes. Mais, encore une fois, si ces fantaisies sont charmantes, qu’importe qu’elles soient inutiles ? Le roman d’ail-