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hasard : outre qu’ils se tiennent par l’unité du but, qui est la description de tel ou tel monde, on devine le plus souvent dans quelle intention délicate, pour quel effet de symétrie, de redoublement ou d’opposition ils ont été disposés comme on les voit : leur désordre, est lui aussi, « un beau désordre ». Mais enfin la moitié de ces tableaux n’ont aucun rapport avec la « fable » et pourraient en être détachés sans qu’elle en reçût le moindre préjudice et sans même qu’on s’en aperçût. Dans Charles Demailly et dans Manette Salomon l’histoire commence juste au milieu du livre : Manette paraît pour la première fois à la page 179 ; Marthe à la page 204. Ces deux romans, qui ont chacun 400 pages, pourraient, si l’on gardait seulement le récit, n’en avoir qu’une cinquantaine. Soeur Philomène, Germinie Lacerteux, Renée Mauperin et même Madame Gervaisais ressemblent davantage à ce qu’on entend d’ordinaire par un roman ; mais l’action est encore morcelée, découpée en tableaux entre lesquels il y a d’assez grands vides. L’histoire va par bonds, nerveusement. Non que MM. de Goncourt soient incapables de faire un récit continu : voyez celui de la vie de Mlle de Varandeuil (Germinie Lacerteux) et celui de l’enfance de soeur Philomène : deux merveilles. Remarquez seulement que, ces deux récits étant rétrospectifs et explicatifs, il était interdit aux narrateurs de s’égarer en chemin. Ils ont dû à cette contrainte d’écrire leurs pages les plus sobres et les plus « classiques ». Mais ce n’est point leur allure ordinaire et