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mais cette impassibilité qu’avait Flaubert et qu’affecte M. Zola. Cette vie contemporaine qu’ils racontent, on sent qu’ils y tiennent par les entrailles ; ils frissonnent eux-mêmes de cette fièvre qu’ils décrivent. On voit qu’ils aiment leur temps pour ce qu’il a d’intelligent, de charmant, de brillant, de fou, de malade. Ils l’aiment en psychologues et en peintres. Écoutez Giroust dans Charles Demailly :

Est-ce beau ! est-ce beau ! Mais rendre ça !… et penser à tant de belles choses modernes qui mourront, mon cher, sans un homme, sans une main qui les sauve !… Ah ! que de crânes décors et que de crânes bonhommes, les boulevards, les Champs-Élysées, les Halles, la Bourse, est-ce que je sais[1] ?…

Et Chassagnol dans Manette Salomon :

Bravo ! Le moderne…, vois-tu, le moderne, il n’y a que cela… Une bonne idée que tu as là… Je me disais : Coriolis qui a ça, un tempérament, qui est doué, lui qui est quelqu’un, un nerveux, un sensitif…, une machine à sensations, lui qui a des yeux… Comment ! il a son temps devant lui, et il ne le voit pas !… Le moderne, tout est là. La sensation, l’intuition du contemporain, du spectacle qui vous coudoie, du présent dans lequel vous sentez frémir vos passions et quelque chose de vous…, tout est là pour l’artiste… Un siècle qui a tant souffert, le grand siècle de l’inquiétude des sciences et de l’anxiété du vrai…, un siècle comme cela, ardent, tourmenté, saignant, avec sa beauté de malade, ses visages de fièvre, comment

  1. Charles Demailly, p. 66.