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à rebours : le naturalisme tel qu’il a plu à M. Zola de le définir est une naïveté ou un défi. MM. de Goncourt sont si peu « naturalistes » au sens nouveau, que, dès 1859, croyant ne railler encore que M. Champfleury, ils mettaient dans la bouche d’un grotesque les idées et les professions de foi qu’a reprises et développées sérieusement la plume pesante et convaincue de M. Zola :

Je pense — dit Pommageot en s’animant — que toutes les vieilles blagues du romantisme sont finies ; je pense que le public en a assez, des phrases en sucre filé ; je pense que la poésie est un borborygme ; je pense que les amoureux de mots et les aligneurs d’épithètes corrompent la moelle nationale ; je pense que le vrai, le vrai tout cru et tout nu est l’art ; je pense que les portraits au daguerréotype ressemblent…

— C’est un paradoxe ! cria Florissac.

— Je pense qu’il ne faut pas écrire, là !… Je pense que Hugo et les autres ont fait reculer le roman, le véritable roman, le roman de Rétif de la Bretonne, oui ! je pense qu’il faut se relever les manches et fouiller dans la loge des portiers et l’idiotisme des bourgeois : il y a un nouveau monde pour celui qui sera assez fort pour mettre la main dessus ; je pense que le génie est une mémoire sténographique… Je pense… je pense…, voilà ce que je pense ! Et ceux à qui ça donne des engelures…, j’en suis fâché[1].

« Amoureux de mots, aligneurs d’épithètes », MM. de Goncourt le sont au plus haut point et souvent avec une

  1. Charles Demailly, p. 162.