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jamais, des débauchés sans cœur et des virtuoses féroces de l’amour, de Valmont ou de Lovelace ; et c’est ce qui fait de lui notre frère. Puisqu’il souffre de ne pas aimer, c’est donc qu’il peut aimer encore !

La première fois que j’ai lu Crime d’amour, je m’étais mépris. Je me disais : Quel faible roué que cet homme qui s’imagine être si fort ! Il ne peut aimer Hélène parce qu’il ne la croit pas quand elle lui dit qu’il est son premier amant ; mais, puisqu’il connaît tant les femmes, il devrait bien sentir que celle-là dit vrai ! Il devrait la croire et, même en la croyant, ne pouvoir pas l’aimer — et n’en pas souffrir autrement. — Mais je comprenais mal. De Querne n’est point Valmont. Il l’est encore moins que ne l’a voulu M. Paul Bourget. Parmi ses faiblesses et parmi ses sécheresses apparentes, il conserve un fond de bonté et de tendresse par où le « salut » lui viendra. Mais, pour cela, il faut qu’il ait méconnu Hélène, il faut qu’elle se perde par lui, il faut qu’il ait été cruel et injuste sans le vouloir. Il le faut, afin qu’un jour, devant le mal qu’il a fait, il soit pris d’épouvanté et touché jusqu’au fond du cœur, et qu’il sente s’éveiller en lui le chrétien, et que la question de la responsabilité morale et toutes les autres du même ordre se posent de nouveau pour lui, et qu’il voie, dans un éclair, toute la misère de la vie — et tout son mystère. Armand de Querne, c’est l’homme d’aujourd’hui, un homme qui a conçu et éprouvé tous les états d’âme analysés dans les Essais et qui résume en lui toute la distinction morale et inte-