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lui pardonne. Elle aussi, le spectacle de la souffrance d’un autre (de son mari) l’a ramenée à une conception chrétienne de la vie. Ce roman est donc, en somme, une histoire d’expiation, l’histoire de deux âmes purifiées par la douleur.

Crime d’amour me paraît jusqu’ici le chef-d’œuvre de M. Bourget et l’un des plus beaux romans qu’on ait écrits dans ces vingt dernières années ; car je n’en vois point où l’on rencontre à la fois tant de force d’analyse et tant d’émotion, ni qui présente aux plus distingués d’entre nous un plus fidèle miroir de leur âme. Combien sommes-nous qui nous reconnaissons (les uns plus, les autres moins) dans Armand de Querne ! Qui n’a connu cette impuissance d’aimer, d’aimer absolument et avec tout son être, d’aimer autrement que par désir et curiosité ? Qui n’a connu cette impuissance, soit pour en jouir (car du moins elle nous laisse tranquilles et de sang-froid et elle a des airs de distinction intellectuelle), soit, à certains moments, pour en souffrir, quand on sent le vide de la vie incroyante, détachée et uniquement curieuse, et comme il serait bon d’aimer, et comme on peut faire du mal en n’aimant pas ? Mais cette anxiété, c’est déjà le commencement de la rédemption morale, c’est le signe que toute vertu n’est pas morte en nous. Que dis-je ? c’est le signe d’une puissance d’aimer plus religieuse, plus largement humaine peut-être que celle des grands amoureux. En tout cas, c’est là ce qui distingue Armand de Querne de ceux qui n’aimeront