Page:Lemaître - Les Contemporains, sér3, 1898.djvu/361

Cette page n’a pas encore été corrigée

ment, leur combinaison, les impressions des sens aboutir à des émotions et à des raisonnements, les états de conscience toujours en voie de se faire et de se défaire, une compliquée et changeante végétation de l’esprit et du cœur. Vainement le moraliste déclare certains de ces états de conscience criminels, certaines de ces complications méprisables, certains de ces changements haïssables. À peine si le psychologue entend ce que signifie ou crime, ou mépris, ou indignation… Même il se complaît à la description des états dangereux de l’âme qui révoltent le moraliste ; il se délecte à comprendre les actions scélérates, si ces actions révèlent une nature énergique et si le travail profond qu’elles manifestent lui paraît singulier. En un mot, le psychologue analyse seulement pour analyser, et le moraliste analyse afin de juger.

Eh bien, quelque abîme que M. Paul Bourget se plaise ici à creuser entre ces deux espèces d’esprits, si l’on ne peut dire qu’il soit vraiment un moraliste, il n’est pas non plus un pur psychologue. Du moins, c’est un psychologue très tourmenté par les questions de morale, très ému, très anxieux, parfois effrayé. Il s’inquiète assez habituellement des conséquences que peuvent avoir les idées qu’il expose pour le bonheur et pour le bien moral de l’humanité. Il s’écrie volontiers (en termes plus distingués et sans lever les bras, mais plutôt en mettant ses mains sur ses yeux) : « Où allons-nous ? » Toutes ses enquêtes sur les sentiments originaux de ses contemporains lui servent à rechercher en même temps le sens et le but de la vie. Il la prend très profondément au sérieux. Il n’est jamais plaisant, ni même ironique ou dégagé. Il ignore le