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les hommes ou les idées. Et elle peut juger ou seulement définir. D’abord dogmatique, elle est devenue historique et scientifique ; mais il ne semble pas que son évolution soit terminée. Vaine comme doctrine, forcément incomplète comme science, elle tend peut-être à devenir simplement l’art de jouir des livres et d’enrichir et d’affiner par eux ses impressions.

M. Nisard commence par se former une idée générale, et comme purifiée, du génie français. Cette idée, il l’a tirée d’une première vue d’ensemble de notre littérature. Il y fait entrer, comme partie intégrante, les croyances de la philosophie spiritualiste. À l’idéal ainsi conçu il compare les œuvres des écrivains et les exalte ou les malmène selon qu’elles s’en rapprochent plus ou moins. Au reste, il isole ces œuvres, néglige le plus souvent la personne même des écrivains ; ou, s’il en parle, c’est pour leur attribuer, au nom du libre arbitre, le mérite ou le déshonneur d’avoir servi ou trahi l’idéal littéraire dont il a posé au commencement la définition. Il ne saisit expressément aucun lien de nécessité entre les œuvres et les producteurs, entre ceux-ci et les milieux sociaux, ni entre les époques successives. Et pourtant son Histoire se déroule suivant un plan inexorable, et l’esprit français ressemble chez lui à une personne morale qui se développerait, puis déclinerait à travers les âges. De là une Histoire d’une rigoureuse unité. Elle est fort systématique et singulièrement partiale et incomplète ; mais comme l’es-