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II

Joignez que M. Paul Bourget est sans doute poète et romancier, mais est peut-être avant tout un critique — et non pas un critique qui juge et qui raconte, mais un critique qui comprend et qui sent, qui s’est particulièrement appliqué à se représenter des états d’âme, à les faire siens. Parmi tant d’âmes qu’il pénètre et qu’il s’assimile, où est la sienne ?

Il semble à première vue que, plus un critique a d’étendue d’esprit et de puissance de sympathie, moins il doit présenter, à qui veut le définir et le peindre, de traits individuels. Les plus marqués, les plus originaux, non seulement parmi les hommes, mais parmi les écrivains, sont ceux qui ne comprennent pas tout, qui ne sentent pas tout, qui n’aiment pas tout, dont la science, l’intelligence et les goûts sont nettement délimités. L’homme idéal, celui qui viendra à la fin des temps, comme il saura et concevra également toutes choses, n’aura sans doute presque plus de personnalité intellectuelle ; et il n’aura que des passions, des vices et des travers fort atténués. Les membres de la petite oligarchie philosophique qui, d’après M. Renan, gouvernera peut-être un jour le monde, délivrés, par l’omniscience, des passions inférieures, devront se ressembler entre