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un poème athée en six ou sept mille vers ! Je comprends le De natura rerum, ce cri de délivrance, cette protestation enflammée contre d’universelles superstitions, cette première épiphanie de la science naissante. Mais ces Blasphèmes, à qui s’adressent-ils ? À quoi riment-ils ? Sommes-nous si infectés d’esprit religieux ? Il est bon, là, ce rhéteur mal embouché qui prétend affranchir nos intelligences !

Comment n’a-t-il pas senti ce qu’il y a dans ses négations de grossier, de rudimentaire, d’enfantin, d’attardé, de dépassé par l’esprit moderne ? Pas de Dieu, pas de loi morale, pas même de lois physiques : ce qu’on appelle ainsi, ce sont les habitudes des choses (ce qui revient d’ailleurs au même) : tout est gouverné par le hasard ; la Raison même, la Nature et le Progrès sont des idoles qu’il faut renverser comme les autres. Conclusion : Mangeons, buvons et ne pensons à rien. Il nous développe cela avec une allégresse et une fierté sans pareilles. Il n’y a pas de quoi ! Voilà-t-il pas de belles découvertes ! Se figure-t-il avoir expliqué tout en supprimant tout ? Les abominables suppressions ! De quels sentiments exquis ce poète nous dépouille ! Plus de foi, plus d’espérance, plus de charité, plus de vertu, plus de rêve, plus d’illusions, plus de chimères. Et si, comme Banville, « je n’ai souci que des chimères » ? Quel triste monde M. Richepin nous fait ! Je ne parle ici au nom d’aucune morale ni d’aucune religion ; je ne m’occupe pas de la vérité : je ne m’occupe que de