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sualité. Mais tout de suite on s’aperçoit qu’il y a dans cette sensualité une affectation, un air de défi aux bourgeois.

  L’amour que je sens, l’amour qui me cuit,
  Ce n’est pas l’amour chaste et platonique,
  Sorbet à la neige avec un biscuit ;
  C’est l’amour de chair, c’est un plat tonique.

Et ailleurs :

  Notre bonheur n’est point le fade cataplasme ;
  C’est le vésicatoire aigu qui donne un spasme…

  Vos amours, ô bourgeois, sont des fromages mous ;
  Le nôtre, un océan d’alcool plein de remous.

Voilà le ton ; et il n’est que trop soutenu. Sauf quelques fantaisies à la Henri Heine, mais de plus de bizarrerie ou de vigueur que de grâce, ce ne sont que hennissements. Il nous fatigue à la longue, cet étalon ! Sans compter qu’il nous humilie… Ou plutôt non : c’est nous, les bourgeois, qui le plaignons. La pièce qui résume le livre est intitulée le Goinfre. Horreur ! Et voici comment le poète nous peint son amour :

  C’est un goinfre attablé qui, plus que de raison,
  Enivré de vin pur, gavé de venaison,
  Ôte le ceinturon qui lui serre la taille,
  Et, sans peur d’avoir mal au ventre, fait ripaille.
  Il ne sait si demain sera jour de gala
  Et veut manger de tout pendant que tout est là…

Et l’allégorie se développe avec une brutalité croissante. Eh quoi ! c’est cela pour lui, l’amour ! Pauvre garçon ! Cette poésie est tout ce qu’il y a de plus